Encensoir aux Hébreux dans la fournaise

origine

Région mosane (Liège ?), vers 1160

conservation

Lille, Palais des Beaux-Arts, inv. A. 82

dimensions

H. 16 ; L. 10,4 cm

materiaux

Laiton fondu, ciselé et doré

expositions

Cologne 1968, p. 39 ; Bruxelles-Cologne 1972, cat. G. 15, p. 253 (Dietrich Kötzsche) ; Namur 2010-2011, cat. 14, p. 194-197 (Damien Berné) ; Paris-Saint-Omer 2013, cat. 26, p. 90-91(Christine Descatoire).

Inscription périmétrique

+ HOC . EGO . REINER(U)S . DO . S†GNU(M) / QUID . MICHI VESTRIS / EXEQUIAS SIMILES . / (D)EBETIS . MORTE . POTITO / ET . REOR . ESSE. PRECES / V(EST)RAS TIMIAMATA . XR(IST)O

Inscriptions sur les arceaux qui servent de perchoir aux trois Hébreux

ANANIAS ; AZARIAS ; MISAEL

Historique

Début XIX e siècle, église des environs de Lille ; orfèvre lillois qui l'aurait échangé contre des objets de sa fabrication ; Charles Benvignat, architecte lillois (1805-†1877), qui en fit don au musée de Lille entre 1874 et 1877.

État de conservation

Forte usure des reliefs en particulier des quatre figures ; ange sommital, venu sauver les trois Hébreux de la fournaise, a perdu ses ailes. Cet encensoir est à l'origine de nombreuses copies, à la suite à la publication précoce de Didron (1846).

Commentaire

L'encensoir se compose de deux coupes hémisphériques ajourées, autrefois maintenues par des chaînettes et scandées par des arcs semi-circulaires qui forment trois cercles recoupant un double bandeau horizontal. À Cette structure strictement géométrique s'oppose la luxuriance d'un décor de rinceaux végétaux habités par des couples de griffons, de lions ailés et d'aigles affrontés. Par ailleurs, les pattes de fixation des chaînes rappellent les modillons sculptés de l'architecture contemporaine. L'orfèvre ou le dinandier s'est naturellement inspiré du vocabulaire décoratif roman alors en usage dans les arts monumentaux et décoratifs.

Au sommet, les figurines des jeunes Hébreux - Ananias, Azarias et Misaël - lèvent les yeux vers l'ange trônant (aujourd'hui sans ailes), qui les sauva de la fournaise à laquelle les avait condamnés Nabuchodonosor pour avoir refusé d'adorer une idole d'or. Ainsi, comme le souligne Damien Berné (Namur 2010-11) :

« De fait la tension sensible dans le foisonnement organique de la sphère semble se résoudre dans le jeu des regards qui s'élèvent, confiant, vers le ciel. Ainsi, le thème du décor figuré de l'objet répond parfaitement à son usage liturgique : les ajours de l'encensoir laissent s'échapper les vapeurs d'encens en même temps que le rougeoiement des braises, réactualisant métaphoriquement l'épisode du brasier ».

Cet épisode célèbre de l'Ancien Testament emprunté au livre de Daniel (Dn. III) 1 est une image à la fois métaphorique et typologique (correspondance entre l'Ancien et le Nouveau Testament) de la foi inébranlable en la toute puissance salvatrice de Dieu, à laquelle les trois jeunes hommes s'abandonnent totalement ; une foi qui « éteint la violence du feu » (épitre aux Hébreux, 11, 33). Ce feu renvoie par ailleurs à la fournaise du Jugement dernier d'où les justes sortiront vainqueurs à la fin des temps, pour leur salut éternel. Par ailleurs, l'ange qui domine les Hébreux sur l'encensoir, est vu dans la tradition chrétienne comme le fils de Dieu, venu les sauver par la parole qui éteint les flammes. Les trois Hébreux, enfin, modèles de foi pour le Chrétien, appartiennent aussi au type de martyrs qui font d'eux-mêmes une offrande volontaire à Dieu, rappelant alors l'Apocalypse de Jean (Ap. 8, 3-4) :

« Survint un autre ange qui se plaça près de l'autel, un encensoir d'or à la main. On lui remit quantité de parfums à offrir, avec les prières des saints (...) Ainsi la fumée des parfums s'éleva avec la prière des saints, de la main de l'ange, en face de Dieu ».

Cette offrande d'encens et de prières à Dieu pour le salut des âmes est bien celle de ce Rénier (Reinerus) dont le nom apparaît dans l'inscription périmétrique :

« Moi, Renier, je donne cet encensoir en signe afin qu'à l'heure de ma mort vous m'accordiez des funérailles semblables aux vôtres, et je crois que vos prières seront comme de l'encens pour le Christ »

Il est aujourd'hui admis que ce Rénier n'est pas le fondeur Renier de Huy, créateur des célèbres fonts baptismaux de Notre-Dame à Liège, aujourd'hui à l'église Saint-Barthélemy. Il est sans aucun doute le commanditaire et donateur de l'œuvre à une église inconnue. Malgré leur forte usure, les figurines renvoient, par leur silhouette, leur attitude et le style des drapés, à l'orfèvrerie mosane des années 1150, en particulier les évangélistes de l'Autel portatif de Stavelot (Bruxelles, Musées Royaux d'Art et d'Histoire), les figures allégoriques d'une paire de chandeliers conservée à Hildesheim en Allemagne (Paris-Saint- Omer 2013, cat. 13) et aux anges à la base d'une croix du Victoria and Albert Museum (Cologne-Bruxelles 1972, G. 14).

Ainsi l'iconographie complexe et le nom du donateur gravé sur l'objet font de l'encensoir de Lille l'une des créations les plus originales de la dinanderie mosane du XII e siècle et une œuvre isolée dans la typologie des encensoirs rhéno-mosans du milieu du siècle.

Bibliographie

Guy Blazy (dir.), Trésor des églises de l'arrondissement de Saint-Omer, cat. d'expo. (Saint-Omer, Musée Sandelin, 1992), Saint-Omer, 1992, cat. 3, p. 42-45 (notice Élisabeth Taburet-Delahaye)

  • Didron 1846, IV, p. 305-311, pl. p. 292
  • Viollet-Le-Duc 1871, IV, p. 99 et pl. 31
  • Destrée 1904
  • Théodore 1921
  • Usener 1933, p. 116 et suiv.
  • Falke et Meyer 1935, p. 9
  • Gevaert 1943, n° 13
  • Collon-Gevaert 1951, p. 178 et suiv
  • Swarzenski 1954, p. 66 et fig. 346
  • Swarzenski 1958, p. 43-45, fig. 15
  • Schnitzler 1959, p. 27
  • Collon-Gevaert, Lejeune et Stiernnon 1961, n°36
  • Ruhstaller 1973, p. 102, fig. 1-3
  • Oursel 1984, n° 2
  • Guide 1997, p. 26-27

Marc Gil, 2023